N’est pas breton qui veut

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Finistère, Penn ar Bed, fin des terres. Au-delà, rien ou plutôt si: les immensités océanes. Ici vivent les Bretons, au carrefour de la terre et de la mer, du passé et du futur, de la vie et de la mort, de la sagesse et de l’aventure, du mythe et de la réalité, de ce monde et de l’autre.

Il fut un temps où l’Europe entière était celte, de Brest à Ankara et de Galway à Lausanne. Un temps de parole et de rêve, des légendes et de merveilles. A Carnac, les pierres levées mariaient en une seule croyance la misérable vie humaine et l’infini du cosmos. Dans la forêt de Brocéliande, les chevaliers de la Table Ronde conjuguaient amour et bravoure. Surgirent les armées de César. A la manière d’Astérix replié dans son village, l’âme celte fit retraite dans les terres qui lui étaient les plus complices, celles de l’extrême Bretagne.

Romanisée puis francisée, la Bretagne continua de parler la langue des ancêtres et à croire aux fontaines qui guérissent comme aux saints qui soulagent. Elle a survécu aux guerres, aux famines, aux trahisons. La sagesse des hommes – et celle des femmes – n’y a d’égale que leur modestie.

Modestie. Ce simple mot me rappelle la rencontre d’une nuit d’été, ici, au bout du monde. Bernard, l’ami de toujours, nous accueillait comme à l’habitude dans la vieille maison des mystères qui est la sienne, sur les dunes de Trez Goarem. Dans la journée, nous avions remarqué le manège de plusieurs vipères qui, attirées par la chaleur des murs et aidées par l’enchevêtrement d’herbes et de broussailles rampant vers la maison, risquaient de constituer un danger mortel pour les enfants. Nous avions donc décidé de faire appel à un paysan du voisinage pour venir, toutes affaires cessantes, faucher la bonne et la mauvaise herbe. Il était près d’onze heures du soir quand le son enrhumé d’un moteur se fit entendre.

Sur son tracteur, le paysan en salopette esquissa à peine un signe et se mit au travail. Assis de guingois près de lui, un jeune homme en bleu de chauffe fut plus discret encore. Pendant deux heures, la lame de leur machine fouailla au plus près des murets et des troncs. A la nuit largement tombée (même si elle tombe fort tard à cette saison en Bretagne), le travail fut terminé. Bernard invita alors l’adulte et le jeune homme à prendre un verre. Ils refusèrent d’abord et n’acceptèrent ensuite de nous rejoindre que sur la terrasse, afin de ne pas salir le salon ni déranger les enfants.

Il nous fallut bien du temps pour obtenir du père qu’il nous parle un peu de lui. Parce que Breton, il avait au temps de la guerre d’Algérie été trimballé de corps expéditionnaire en bataillon disciplinaire. Il avait sauvé sa peau et, après avoir traîné sa peine sur les océans du monde, il restait vacciné à jamais contre la bêtise humaine, à laquelle il préférait la compagnie de ses animaux.

Le fils n’avait toujours pas pipé mot et semblait reprocher au père sa soudaine loquacité. Enfin, un peu de lambig aidant, le jeune homme se laissa aller à son tour à quelques bribes de confession. Il était actuellement militaire, comment faire autrement, mais avait choisi la marine parce qu’on y tue moins qu’ailleurs et que parfois même on y sauve. La semaine précédente encore, il se trouvait à bord du « Commandant Charcot » à recueillir en mer de Chine des boat people vietnamiens. Il avait fallu la nuit, notre insistance et un peu d’alcool pour que son secret émerge du silence. Nous étions peut-être les seuls au village à connaître sa vie aux antipodes. Modestie.

Découvrir la Bretagne, c’est choisir l’imprévu pour aller au-devant de la mesure et de la démesure entremêlées. Rencontrer les Bretons, c’est aussi aller à la recherche de nous-mêmes, qui avons été comme eux celtes et partagions alors les mêmes certitudes, les mêmes légendes, les mêmes dieux, la même vie, les mêmes morts.

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