11. Mon heure va bientôt sonner

Dia087.0021

CHAPITRE XI

Slimane m’entraîna chez lui, dans une courette ombragée entre échoppe et maison. Tout naturellement, une femme apporta le traditionnel bered de thé à la menthe accompagné de gâteaux secs aux amandes et de cacahuètes fraîchement grillées. Slimane la pria de recevoir les clients ou de les inviter à revenir le lendemain car il serait absent pour la soirée. Ainsi s’amorça une conversation qui finit tard dans la nuit: après le thé, il y eut le dîner.

J’appris ainsi que Saïd, dans son mystérieux voyage, s’était directement rendu chez Abdelkhir auprès duquel, en plein naufrage spirituel, il avait cherché sauvetage. Cet homme droit et juste l’avait jadis accueilli à bras ouverts, ce qu’il fit de nouveau mais, trop âgé pour suivre Saïd, il lui délégua son second fils Omrane, qui devait l’accompagner partout où il aurait désir d’aller.

Omrane était l’un des deux visiteurs libyens venus à la recherche de Saïd. Après deux séjours infructueux, sans la moindre trace de Saïd, du Hadj M.B.J. et de l’agriculteur étranger, il avait minutieusement relaté à Slimane ce qu’il savait déjà sur Saïd ou avait appris quand il lui servit de guide. Il avait même, à tout hasard, confié à Slimane le secret de l’amara.

A Omrane qui lui servait de guide lors de son second séjour dans l’oasis, Saïd avait affirmé que son vieux mentor, mon bailleur, bien que décédé de longue date, lui avait rendu visite, en chair et en os. Il l’avait vu comme on voit quelqu’un assis en face de soi et qui vous parle.

« Alourdie par le péché, ton âme ne pourra s’élever jusqu’au paradis, avait  le mentor à Saïd, car tu n’as pas respecté tes obligations terrestres. Tu as volé et tu n’as pas restitué. Tu as trompé sur tes intentions l’homme qui te reçut avec confiance quand la mort menaçait ton corps épuisé. A cet homme, tu dois la vérité. Tu as bifurqué, abandonné le bon chemin, c’est seulement en repartant de ce point précis et non d’ailleurs que tu le retrouveras. Il serait inutile que ton corps, rituellement lavé, enveloppé d’un linceul blanc, soit confié à la terre dans l’attente du jour où les morts se lèveront et rejoindront leur âme au paradis, ton âme n’y aurait pas accès ».

Le lendemain, au petit jour, sans argent ni bagages, Safd prenait à pied la route conduisant à l’oasis, à la fois proche de l’endroit où il avait bifurqué et de celui où il avait enterré le trésor. Au terme d’un long et très pénible voyage, il dit à Abdelkhir qui l’accueillait à bras ouverts: « J’apparais tel un vagabond et une fois encore tu me reçois en ami. Je suis ici, tu dois savoir ce qui est dans ma tête et dans ma poitrine. Tu me diras ce qu’il me reste à faire car mon heure va bientôt sonner ».

Il exposa sa vie avec simplicité, sans omettre ce qu’il n’avait pas dit à Abdelkhir au cours de sa première confidence. Avant de s’évader, après avoir à moitié assommé l’intendant, il lui avait tranché les organes génitaux et les avait placés en évidence sur la figure. Cela aujourd’hui encore lui paraissait aussi normal que d’écraser la tête d’une vipère cherchant à planter ses crochets. Il avait raflé quelques rouleaux de pièces d’or et surtout des pierres précieuses, moins encombrantes et de grande valeur, qu’il avait mêlées en vrac aux pois chiches de sa musette. Ce vol insensé n’entrait pas dans ses prévisions, il avait succombé brutalement à l’attraction de l’or dans le coffret ouvert.

Dans sa fuite éperdue, par crainte de rencontres inopportunes, il avait bifurqué dans un chemin moins fréquenté Puis dans un autre. De précaution en précaution, cherchant à protéger son vol, il finit par se perdre. Réalisant le danger, il prit

des alignements et repères que vents et tempêtes ne pouvaient détruire et enterra profondément son trésor dans l’espoir de le reprendre beaucoup plus tard. C’est alors qu’il se lança dans sa folle fuite vers le nord, unique chance de salut!

Seul dans l’immensité d’un ciel désespérément vide, dans l’aridité d’une terre à perte de vue hostile, torturé par la faim et la soif, il crut que son méfait lui attirait le châtiment céleste et jura que son trésor maudit, confié aux sables, appartenait désormais aux sables même si un jour il pouvait le récupérer.

« Jadis je ne t’en ai pas parlé, dit-il à Abdelkhir, car je croyais la chose effacée, mais rien n’échappe à la balance divine! »

Il termina son long récit sur l’avertissement du vieux mentor, tombé du ciel, qui ordonnait de réparer. Il était venu dans cet espoir. Abdelkhir, convaincu de la bonne foi de Saïd, promit de collaborer à la restitution du trésor. Opération importante, dépassant ses moyens, nécessitait l’intervention des gens de l’oasis auxquels il allait faire appel. Après l’accord de principe donné par le conseil des chefs de famille, une réunion à huitaine qui laissait à chacun le temps de réfléchir, une seconde réunion aurait pour but d’arrêter les dispositions et modalités de l’expédition.

Dans les circonstances importantes, une telle réunion se tenait sur l’aire centrale en terre battue, aussi dure et propre qu’un dallage, transformée en forum pour accueillir les sages. Ceux-ci, accroupis en tailleur sur un petit tapis personnel, s’apprêtaient à étudier et établir un plan d’action tandis qu’ils dégusteraient avec une délicieuse lenteur les petits verres de thé qui leur seraient servis à tour de rôle pendant la durée de la réunion. Raison de plus de bien réfléchir avant de parler. Commencée peu avant le coucher du soleil, la réunion se termina aux étoiles après que les décisions suivantes furent prises.

Chapitre suivant…

Laissez un commentaire. Merci.