9. Saïd est de retour !

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CHAPITRE IX

La fuite des jours entraînait celle des années; dans la quiétude de sa vie, Saïd attendait sans empressement qu’une vieillesse paisible la clôture. Du moins était-ce encore mon impression quand il m’aborda, les bras ballants, en me disant: « Je te souhaite un jour heureux et te laisse dans la santé et la paix », formule classique de prélude à un long départ. Il ne s’agissait donc pas d’une visite aux gens de la ville, où il allait de moins en moins. Visiblement, il s’attendait à mon étonnement et à la question que je lui poserais, ce que je ne manquai pas de faire: « Où vas-tu Saïd et pourquoi pars-tu? » Il y répondit avec un air dont je ne saurais dire s’il était de satisfaction ou de fierté, un air qui ne lui était pas coutumier. Sibyllin mais toujours énigmatique, il me dit: « Je vais où il faut que j’aille et il faut que je m’y rende tel que j’en suis venu »! Il montra ses mains vides et la poche de sa djellaba ne contenant qu’un simple mouchoir. « A mon retour, si la Toute Puissance en décide, je te dirai ce que je ne t’ai pas dit ». C’est ainsi qu’il nous quitta en refusant l’aide financière qui lui eût permis d’effectuer tout ou partie du voyage dans des conditions de rapidité et de confort en rapport avec son âge et les distances.

Les siens étaient consternés. N’en sachant pas plus que moi, ils avaient essuyé le même refus. Pourquoi cette décision qui leur paraissait subite et surtout pourquoi dans des conditions aussi arbitraires?

Six mois plus tard, sans nouvelles de son voyage, personne ne pensait revoir Saïd. Sans doute, sur un point de la route jadis parcourue par lui, quelques ossements blanchis dans les sables marquaient le terme de sa vie; à moins que des mains pieuses l’ayant assisté dans ses derniers moments ne l’aient enseveli, tourné vers le Levant, une pierre marquant l’emplacement de la tête, une autre, plus petite, celle des pieds, peut-être même enseveli nu dans le linceul blanc; dernière parure du mort.

Tôt le matin, je partais pour Tunis où une affaire importante m’appelait quand diverses voix crièrent: « Saïd est de retour! Saïd est de retour! » Il était là, ou pour mieux dire son squelette était là. La peau collait directement aux os. Les yeux enfoncés loin dans les orbites avaient l’aspect narquois du prestidigitateur qui vient de réussir un bon tour devant un public enclin au doute et à la moquerie. Après nos embrassades, je lui annonçai ma courte absence et mon désir de partager un thé le lendemain soir. « Fais ce que tu dois faire », me dit-il dans un hochement de la tête. « Si tu ne peux revenir ce soir, sois là tôt demain matin. Si telle est Sa volonté, tu sauras ce que j’ai promis de te dire ».

Je ne pus revenir le lendemain matin mais seulement le surlendemain après-midi. A quelques pas de la courette, des hommes étaient rassemblés. Ils venaient d’enterrer Saïd, mort la veille au soir en emportant son secret.

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