Chascomus

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Chascomus. Un petit bourg. Ou plutôt un gros village en pleine pampa. La plaine, la plaine à perte de vue. Et des troupeaux de 500, 600, 1000 vaches d’un gaucho nonchalant, écrasé de soleil, vient surveiller, une fois par jour. Afin de repérer le bétail blessé, ou malades. Et de réparer le éventuellement, les clôtures qui enserrent ces milliers d’hectares.

Chascomus. Très de la lagune saumâtre qui rafraîchit quelque peu les après-midi, il y a un musée. Oh, pas un grand musée. Non. Quelques vieux fusils, des lassos, des boleadoras, trois pierres fixées à une corde, qu’on lançait, sifflantes, dans les pattes des autruches sauvages. Et, surtout, un rouleau de fil de fer. Oh, par n’importe quel fil de fer. Non. Le premier fil de fer a porté en terre argentine. Toute une histoire, qui a révolutionné l’histoire. Pensez. Avec les premiers conquistadors étaient arrivés, à Buenos Aires, des chevaux et des vaches, animaux inconnus jusque-là en Amérique du Sud. Il s’était échappé et c’était allègrement reproduit dans la pampa accueillante et fertile. Tout ce petit monde de évoluer en liberté et le travail du premier gaucho fut de les encercler, par groupe de plusieurs centaines, et de les amener à cheval vers les premiers abattoirs ou, soit dit en passant, on faisait plus qu’à de la peau que de la viande de boeuf.

Or, dans les années 1840, un des premiers estancieros de Chascomus, un certain Newton, émigrés anglais, prend le bateau pour sa patrie d’origine. Il va mettre ses deux fils en pension. Et que voit-il en Angleterre ? Dans un parc, des cerfs sauvages qui ne s’enfuient pas à l’approche de l’homme. Ils sont prisonniers de piquets entre lesquels sont tendus des fils de fer. Newton achète des rouleaux et des rouleaux de ce fils et réembarque pour l’Argentine.

En quelques années, la pampa, terre de liberté où on pouvait galoper, droits devant soi, sur des centaines, des milliers de kilomètres, allaient être limitée, enserrée par des milliers de kilomètres d’alambrados, de fil de fer, moyens pratiques de surveiller le bétail, et aussi, de manifester le sens de la propriété privée.

Il reste quelque mètre de ce premier fil de fer au musée de Chascomus, un simple rouleau de quelques épaisseurs, à peine barbelés, accrochés par un clou à la paroi.
Au-dessous, dans une vitrine, des pièces de monnaie. Celles qu’apportaient avec eux, à la fin du XIXe siècle, les colons. Lires italiennes, écus espagnols, couronnes suédoises, livres anglaises et aussi… Des pièces de 10, 20,50 centimes suisses.
– Voyez, me dit le gardien, il y avait aussi des Suisses parmi les immigrants. Voyez les pièces. Je suis sûr que vous n’en avez jamais vu de pareilles.
— Moi ? pourquoi ? Et je sors de ma poche un peu de monnaie suisse qui, par hasard, mêmes pièces, même modèle, même frappe.
— Elles valent encore quelque chose ?

C’est qu’ici, en Argentine, de toute éternité, l’inflation galope. La plus petite course en taxi coûte aujourd’hui un million de pesos anciens, 10 000 pesos nouveaux. Il faut 200 g de billets pour acheter 500 g de pain. Et rien n’arrête l’inflation. La dernière fois que j’étais venu à Buenos Aires, en 1976, je payais ma chambre d’hôtel 500 pesos nouveaux. Aujourd’hui, avec le 500 pesos, on n’achète même pas le journal !

Alors, vous imaginez la tête du gardien du musée de Chascomus, province de Buenos Aires, lorsque j’ai tiré de ma poche un peu plus d’un franc suisse en petite monnaie, la même que celle des colons de la fin du XIXe siècle, et que je lui dis :
— Eh oui, avec ça, 100 ans après, on peut encore acheter un petit pain.

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