Fairfield vs. Bridgeport

 

Parti de New-York Grand Central à 19h06. Une heure et quart dans un train de banlieue bondé, mais où chacun trouve tout de même une place assise. Garry A. m’a recommandé de descendre à Fairview, dernière station avant Bridgeport. Il m’attendra dans une VW Sirocco marron.

Nous finissons par nous trouver. Le gamin frondeur a blanchi sous le harnais. Il a toujours le cheveu frisé mais laisse pousser une barbe grise de trois ou quatre jours. Lunettes aussi. Les années, ma pauvre dame. Il est né en 1945 et a fait, je ne l’aurais jamais imaginé, le Vietnam   comme marine. Il est historien de l’art et enseigne, d’une année sur l’autre, dans des universités différentes, faute de contrats fixes. Actuellement, il donne des cours, le mardi et le jeudi, dans le New-Jersey. En voiture, sans les encombrements, il en aurait pour une heure mais, en train et métro, via NY et avec cinq changements, cela lui prend trois heures et demie dans chaque sens. A noter que la voiture porte toujours, à l’avant, des plaques genevoises Z ainsi que, sur le pare-brise, une vignette autoroutière suisse de 1985.

La maison se trouve dans une petite rue de Bridgeport, mais très proche de Fairfield. Garry insiste sur ce point, Bridgeport étant réputée ouvrière et violente alors que Fairfield est calme et bourgeoise. La maison est assez ancienne, les voisins plutôt populaires, telle madame Roma, qui garde les deux enfants du couple pendant la journée. Après vingt ans d’Amérique, elle ne parle toujours que l’italien de sa campagne, passe la moitié de la journée à confectionner pour son mari des plats italiens issus, pour l’essentiel, du jardinet installé derrière la maison, tomates, poivrons, piments et autres légumes méditerranéens. Madame Roma en veut beaucoup à un de ses voisins, qui a menacé de s’adresser à la police si elle réalisait son projet annoncé d’élever des poules. Elle doit donc se rabattre sur des bestioles fraîchement tuées et pas même plumées, ce n’est guère l’habitude ici, que lui rapporte son mari, retraité d’un travail qui lui a laissé des blessures et une pension.

Quant à la maison de Gary et Jane, à qui il faut ajouter leurs deux faux jumeaux Mathiew et Francis, 2 ans et demi, elle est ancienne et abrite, au premier étage, une locataire divorcée. Construite en bois, elle compte au rez-de-chaussée un salon et deux chambres, ainsi qu’une cuisine. Le sous-sol a été transformé en bureau. C’est là que je loge, sur un canapé convertible. Dans le salon comme dans le bureau règne un solide désordre organisé, fait de livres et de papiers en tous genres, entassés sur chaque surface horizontale disponible. Gary prépare différentes publications, entre autres pour une encyclopédie, un article de 500 mots sur la culture et l’art suisses. Aucun auteur suisse n’a accepté, ce n’était pas assez bien payé. Gary projette aussi sur le même sujet un bouquin éventuellement financé par Pro Helvetia. Se demande s’il y intégrera une montre Swatch.

Gary me semble moins drôle que naguère. Malgré les apparences, il s’est embourgeoisé. Il a déjà voté (Bush) par correspondance la semaine dernière et espère que sa femme, toujours distraite selon lui, oubliera d’aller voter (Clinton) mardi.

 

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