e. L’hiver des cowboys

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La grande époque du cow-boy ne dura finalement qu’une vingtaine d’années, de la fin de la Guerre de Sécession (1865) au terrible hiver qui décima les troupeaux (1885­-1886). Entretemps, une invention était apparue, qui sonna le glas d’une certaine liberté et, paradoxalement, fut aussi à l’origine de la chute des cours de la viande: le fil de fer barbelé.

Jusque-là, la propriété n’avait été que le résultat de rapports de force. Les nouveaux venus s’installaient dans la plaine, construisaient un ranch et laissaient leur troupeau paître jusqu’aux limites, fluctuantes elles aussi, du ranch voisin. La propriété s’appliquait donc plus aux bêtes, dont l’appartenance était matérialisée par une marque sur le flanc et une encoche aux oreilles, qu’à la terre elle-même. Quant au travail du cow-boy, il consistait à suivre le troupeau dans sa quête de pâturages neufs et à le regrouper à la nuit tombante, pour éviter les pertes. Ce travail n’était pas, en soi, très différent de celui de la piste, n’était que le rythme était imprimé par l’appétit du bétail plutôt que par un but à atteindre. Mais, comme sur les pistes, le cow-boy vivait à la dure et dormait à la belle étoile avec le troupeau, n’emportant pour tout bagage que ce qui pouvait trouver place dans les modestes sacoches de sa selle.

Avec l’avènement du fil de fer barbelé, son travail devint plus sédentaire et, si le cow-boy dut continuer nuer de surveiller le bétail et de galoper aux quatre coi ris du ranch, ce fut plus, désormais, pour prévenir les vols, identifier les bêtes malades ou réparer les clôtures que polir empêcher son troupeau de se perdre dans l’immensité de la plaine. Par ailleurs, les fils de fer se mirent barrer l’horizon et il devint de plus en plus difficile de faire avancer devant soi, sur des terres que l’on ne possédait pas,  des troupeaux en quête d’herbe ou destinés à une lointaine ville à vaches.

Les ranchers se mirent à délaisser les traditionnels « longhorns » au profit de races européennes, nouvelles et plus productives (Angus, Hereford), et ensemencèrent leurs domaines de fourrages nouveaux. L’effet cumulé de ces races plus productives, de ce fourrage plus abondant et d’étés successifs particulièrement propices entraîna une première chute du prix de la viande.

Survint  l’hiver 1885-1886. Il fut catastrophique. Le blizzard se leva, la neige se mit à tomber, le gel saisit tout. Le froid gagna rapidement les Etats du sud, où on n’avait jamais vu ça. Le Colorado et même le Texas furent touchés. Des centaines de milliers de bovins périrent gelés. D’autres étaient tellement affaiblis par ces conditions climatiques qu’ils furent la proie facile de prédateurs de toutes sortes. On estime que plus du quart des troupeaux fut anéanti en quelques semaines. La saison fut tout aussi mauvaise dans les régions situées plus au nord. C’est cet hiver-là que, dans un ranch du Montana, Charles Russell peignit sa célèbre toile « Waiting for a Chinook » (‘En attendant le vent chaud ») représentant une vache aux flancs amaigris et aux côtes apparentes, entourée de loups prêts à bondir dès que la faim et le froid auraient eu raison d’elle.

Dans des régions proches de la frontière canadienne, où la neige avait pourtant entièrement recouvert les pâturages, certains ranchers avaient au début de l’hiver  égaré des bêtes de races nouvelles, Angus ou Hereford, et n’avaient aucun espoir de les retrouver vivantes au printemps. Ils furent donc très surpris de les découvrir en parfaite santé, lorsque revinrent les premiers beaux jours.

Il apparut à cette occasion que ces races nouvelles étaient tout à fait capables d’atteindre sous la couche de neige l’herbe ainsi protégée d’un gel trop vif et, donc, de passer des hivers entiers en pleine nature, même sous des climats difficiles. Cette découverte fut, elle aussi, pour beaucoup dans l’abandon des grandes pistes saisonnières qui, chaque année, avaient jusque-là amené, du Texas vers des Etats plus septentrionaux, des milliers de longhorns destinées à la nourriture des habitants.

Très rapidement, de nouveaux empires se créèrent au nord du Wyoming, dans le Montana et, au-delà de la frontière canadienne, dans les provinces de l’Alberta et de la Colombie Britannique. Souvent, les travaux de construction des voies ferrées « coast to coast » donna un élan supplémentaire à ces nouvelles entreprises. Il fallait en effet nourrir les ouvriers, puis les passagers de ces lignes ferroviaires transcontinentales. C’est ainsi, par exemple, que se développèrent en Colombie- Britannique deux ranches voisins, le Douglas Lake Cattle Ranch (le plus grand du Canada, 200.000 hectares, 15.000 têtes de bétail) et le Quilchena Cattle Ranch (créé par des émigrants savoyards), deux ranches où nous avons eu le privilège, un siècle plus tard, de travailler et de partager la vie des cow-boys.

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