Outre-Atlantique Cam Tu

Comme toujours, je n’ai été prêt qu’au dernier moment. Je crois n’avoir rien oublié. Nous verrons à l’usage. Rodica était plus inquiète que moi. A l’aéroport de Genève, le retard d’une bonne heure m’a permis de croiser rapidement Roxana et Claire, qui arrivaient de Londres.

Route septentrionale. Survolons Londres et le nord de l’Irlande. Un cercle, sur l’écran, indique les Iles d’Aran. Il y a là en bas, entre Ecosse et Irlande, des gens que je connais. Que font-ils, comment vivent-ils? Envie de descendre vers eux, un instant. Puis les confins de l’Islande, le front sud du Groenland.

Guère envie d’écrire. Curieux et préoccupé de Camtu. En fait, j’ignore tout d’elle. Dans quelle nasse me suis-je fourré? Qui est-elle, que faisait-elle en Haïti lorsque je l’y ai rencontrée en compagnie d’un homme plus âgé, jamaïcain je crois. Pourquoi était-elle venue à Genève épouser en quelques jours un dénommé P., que j’avais déniché pour elle par l’intermédiaire de Jérôme. Elle voulait un passeport suisse. Mais pourquoi, dans la mesure où elle disposait déjà d’une résidence américaine? Quel était alors son métier? Jeune femme entretenue? Elle en avait la beauté mais il me semblait qu’elle était trop libre, trop intelligente aussi. Et aujourd’hui, qu’est-ce donc que cet Express Trading, cette société d’import-export qui la nourrît et lui permet d’aller au Vietnam, en Inde… Est-elle toujours aussi belle. Juste avant de partir, j’ai extrait de mes archives l’unique photo que j’ai d’elle. J’ai été un peu déçu. Je la croyais plus fine. A quoi ressemblera-t-elle, tout à l’heure, à l’aéroport? Et à quoi ressemblerai-je pour elle?

Ai-je vraiment envie de ce nouveau tour du monde ou n’est-ce pour moi qu’un moyen de ne pas vieillir, de refaire ce que je faisais autrefois, comme je le faisais autrefois. Je crains de n’être plus aussi passionné par la planète que je ne l’avais été alors. Mais peut-être son uniformisation de la planète en est-t-elle la cause plutôt que les années. Et le choix de revenir fréquemment sur d’anciennes traces, en d’anciens lieux, chez d’anciennes gens, n’est-il pas passéisme et facilité ? Je suis aussi devenu plus exigeant. Je ne signerais pas aujourd’hui la moitié des Quelque Part diffusés alors. Mais serai-je capable d’en fabriquer de meilleurs, et en si grand nombre ? Le public aussi a changé. Il faudrait beaucoup de personnalité et de conviction pour l’emmener dans des histoires plus intimes mais j’ai parfois l’impression que les années de télévision – plutôt que de vie – ont affadi ma personnalité. Standardisé.

Même pour ces modestes perles quotidiennes qu’il me faudra pêcher, je parle de « produit », je pense produit. Comme si je ne croyais plus autant en ma faculté à emmener les gens avec moi en voyage. Il faut dire aussi que  je n’ai plus fait de radio depuis près de six ans. J’ai perdu mon public, perdu mes trucs, et la radio a changé. Elle regorge aujourd’hui de gens de talent. Le terrain doit m’y être hostile, même si Gérard T. s’est comporté avec moi de manière exemplaire. Installés dans les murs, les journalistes maison vont apprécier qu’un outsider fasse ce à quoi ils aspirent sans le réaliser jamais, même si tous ne sont pas prêts à en accepter les règles et la modicité financière. On va m’attendre au tournant. Je me dois d’être bon. Mais comment? Petit passage à vide, sans doute dû au fait que je n’ai encore rien dans ma gibecière et que le précédent voyage américain, avec Rodica, s’est est soldé par une vision trop superficielle et touristique.

Il est minuit à Genève, six heures du soir en ce moment ici. Nous survolons les chutes du Niagara et passerons tout à l’heure out à l’heure au-dessus de Bi1lings, Casper, Cheyenne. Le temps des rodéos me revient en mémoire. Avec de telles curiosités, je fais figure de marginal chez les intellos européens. Tant pis, j’aime. Sous l’aile, les nuages grossissent. Je m’aperçois que je nee connais pratiquement pas l’Amérique du Nord à la mauvaise saison. Mais au-dessus des nuages le soleil persévère. La nuit tombera tout juste quand nous arriverons à Los Angeles. Longue journée puisqu’il sera trois heures du matin, heure suisse.

Un peu plus de sept heures du soir, heure de Los Angeles. Contrôles de routine, récupération de la lourde valise et sortie dans le hall public. Je cherche des yeux. Personne à première vue mais c’est vrai que tant de monde attend tant de monde. Puis, sur la gauche, retenue par le bastingage, silhouette blanche, des regards qui se cherchent, un sourire. C’est elle.

Elle m’apparaît plus chinoise que vietnamienne, plus chinoise qu’autrefois. Luxe un peu tape à l’oeil, gouaille. – Mon chou, c’est toi. Longue embrassade et cap sur sa maison de Long Beach. Dans la voiture, une Honda cabossée du matin contre un container de poubelles, une cassette de Coluche. La maison n’est pas neuve, mais en parfait état intérieur. Le salon sert aussi de bureau. La chambre qu’elle m’attribue est spartiate, canapé-matelas qu’on déroule au sol, une chambre d’amis rarement utilisée. Puis le temps d’un retour sur la plage, près d’un wharf pétrolier. Restaurant Ragazzi, je ne sais même plus ce que nous y avons mangé. Très vite le retour et le sommeil. Nous parlerons demain.

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