La saga des Vikings

La «Normandie» sans les Normands / Les Vikings et leurs drakkars / Les «Northmen» et le duché de Normandie / La conquête de l’Angleterre / La tapisserie de la reine Mathilde

La Normandie n’a pas de réelle unité géographi­que et, sans la longue saga des Vikings, elle n’au­rait sans doute pas, aujourd’hui, d’unité histori­que. Ce sont donc ces «Northmen» venus de Scandinavie qui ont réuni, par la force puis par l’exemple, les multiples «pays» répartis entre deux grandes régions, très différentes d’aspects et d’ori­gines, Basse-Normandie aux reliefs d’Armorique, d’une part, et Haute-Normandie attirée par le cours de la Seine, de l’autre.

La «Normandie» sans les Normands

Certes, une vie intense s’était développée avant la venue des Vikings. Au cap de la Hague affleurent encore des fortifications qui, mille ans avant notre ère, protégeaient dans doute un peuple de marins contre les dangers et les attaques en provenance des terres. Ailleurs, le territoire semble réparti en une dizaine de tribus principales, regroupées autour d’une capitale, généralement installée sur une éminence.

En 56 av. J.-C., les conquérants romains sont con­frontés à un véritable rassemblement de ces tribus et le légat Sabinus n’en vient à bout qu’après des combats acharnés. A cette résistance massive suc­cède pourtant une collaboration loyale et, dès l’an­née suivante, César recrute sans difficulté, parmi cette population apaisée, les charpentiers et les marins pour les navires destinés à la conquête de l’île de Bretagne.

Les voies nouvelles, qui relient la Normandie à Rome, permettent le commerce de toutes sortes de denrées locales, ainsi que de matières précieu­ses provenant d’outre-Manche, étain par exemple. Mais ces voies, qui remontent la Seine, amènent dans l’autre sens une autre révolution, le christianisme. Un premier évêché est installé à Rouen, puis d’autres à Evreux, Lisieux, Avranches, Cou­tances, Bayeux. Les nouveaux diocèses corres­pondent à l’aire naturelle des anciennes tribus gauloises. Ainsi se confirme un morcèlement régional, appelé à perdurer jusqu’à nos jours, sans mettre pour autant en péril la relative unité de l’ensemble.

A partir du IIIe siècle, des Saxons sèment la ter­reur sur les côtes et leurs incursions se soldent par d’importantes destructions, dans la région de Bayeux et dans le Cotentin, ainsi que sur le cours de la Seine. Après s’être installés en Angleterre, qui leur sert dès lors de camp de base, ils revien­nent en force et s’établissent dans plusieurs régions. Ils ne restent pas longtemps seuls. Des Bataves, des Suèves les rejoignent. Mais ce sont surtout les Francs qui prennent possession de la Normandie, avant de l’inclure, en 567, dans un empire plus vaste, la Neustrie, limitée au sud par la Loire, à l’ouest par la Bretagne, au nord par la Manche et à l’est par la Meuse.

De cette époque date la floraison des monastères et communautés religieuses, d’abord dans le Cotentin, puis dans la vallée de la Seine. A proxi­mité de la forêt de Brotonne, voici les abbayes de Fontenelle (Saint-Wandrille) et Jumièges. A l’em­bouchure du Couesnon, voici Saint-Michel «au péril de la mer». La Normandie est devenue un lieu de foi, de culture, de sagesse et de paix. C’est alors qu’apparaissent les premières voiles des Vikings.

Les Vikings et leurs drakkars

Des centaines de points grandissent à l’horizon, déferlent vers le rivage. Voiles bariolées et gonflées au vent, renforcées par le rythme d’une nuées de rames, longues barques souples, grima­ces de dragons sculptés à la proue, les Vikings vont piller les côtes normandes et remonter le cours de la Seine jusqu’à Paris, avant de s’installer, bourgeois assagis, dans les terres que leur aura attribuées le roi de France.

L’origine du mot viking n’est pas éclaircie. Pour­tant, dans les sagas scandinaves, il semble tout autant désigner le commerçant avisé que le chef de guerre. C’est que les Vikings, qu’ils soient danois, suédois ou norvégiens, sont d’abord ob­sédés par l’appât du gain. Leur quête est à la fois celle de la richesse et celle de la terre promise. La polygamie a engendré, en Scandinavie, une forte surpopulation et le droit nordique institue un seul héritier par famille. Les autres ne peuvent donc exister que par l’aventure et la réussite extérieu­res, quels qu’en soient les moyens. Le climat, surtout en Norvège, pousse aussi les hommes à rechercher au loin des terres plus accueillantes et ceux que le voyage a amenés jusqu’en Médi­terranée se sont crus au paradis… Enfin, le passé et le présent se rejoignent dans la réalisation de nouvelles conquêtes: elles sont inscrites dans la mythologie des contes populaires. Et, surtout, les progrès de la navigation font que les marins scan­dinaves savent désormais se repérer sans difficul­tés dans leurs courses les plus lointaines.

Les premières opérations ont lieu dès l’an 790. Mais la future Normandie n’est pas la seule visée. L’Angleterre est attaquée, des Norvégiens s’instal­lent en Irlande, d’où ils organisent des expéditions jusque dans le golfe de Gascogne, au Portugal, en Afrique du Nord et en Sicile. C’est alors que se multiplient leurs incursions sur les rives de la Manche, où ils entrent en compétition avec les

Danois. Séparées ou conjuguées, leurs attaques sont particulièrement meurtrières. Les monastères sont pillés, les moines qui ne parviennent pas à s’enfuir sont décapités. Le seul but de ces opéra­tions militaires est le pillage. Les Vikings ne ten­tent pas de s’installer. Pourtant, remontant la Seine, ils vont, en 885, faire le siège de Paris. Et lorsqu’ils seront repartis, avec leurs embarcations pleines d’or et de richesses, le roi de France pen­sera qu’après tout, mieux vaudrait donner à ces brigands une terre, pour qu’ils ne soient plus ten­tés de piller celle des autres…

Les «Northmen» et le duché de Normandie

«On les appelle Normands, parce que dans leur langue, septentrion se dit north et homme man.» Ainsi apparaissent pour la première fois Nor­mands et Normandie. Ils continuent de ravager et de dévaster sur leur passage. On voudrait bien faire la paix avec eux, mais les Northmen sont tel­lement individualistes, leurs bandes agissent avec tant d’indépendance, que le chef d’un nouveau groupe ignore généralement les accords passés par le précédent. Ils pratiquent la tactique de la gué­rilla, intervenant vite et fort, se retirant aussitôt et ne laissant rien derrière eux.

Pourtant, peu à peu, les richesses s’amenuisent, les raids rapportent moins, et les populations fran­ques, fortifiant leurs villages et multipliant les châ­teaux, parviennent peu à peu à offrir aux envahis­seurs une résistance efficace. De plus, les bandes qui détenaient le monopole du pillage, se heurtent désormais à la concurrence d’autres bandes, qui amenuisent d’autant la part du butin.

C’est alors que, pour être en position de négocier, le roi de France, Charles III le Simple, passe à l’offensive dans les autres régions soumises aux incursions des Vikings: Bretagne, Bourgogne, Bas­sin parisien. Battues, les bandes scandinaves se replient sur la basse vallée de la Seine.

Au début des années 900, un nouveau chef, Hrôlfr, s’impose. Utilisant sa base normande, il tente de prendre Paris, sans succès. Il échoue ensuite devant Sens, Auxerre et Chartres. La résistance s’est organisée, le vent a tourné. Les Vikings sont prêts à entrer au service d’un roi franc, en échange d’un territoire garanti.

La rencontre de Charles le Simple et de Hrôlfr (que l’Histoire retiendra sous le nom de Rollon) a lieu en 911, à Saint-Clair-sur-Epte. Rollon s’engage à mettre fin aux pillages et à empêcher ceux d’éventuelles bandes concurrentes. Il prête un théorique serment d’allégeance au roi. Il se fera baptiser et obtiendra un territoire, limité au nord par la Bresle et l’Epte, au sud par l’Eure, l’Avre et la Dives. A l’ouest, la frontière reste floue. Le pre­mier historien normand, Dudon, affirme que la Bretagne faisait partie de l’accord. Mais ces régions de l’ouest restaient, à l’époque, largement incontrôlées et le roi, pas plus que Rollon, n’était en mesure de s’assurer de la Bretagne. Cette attri­bution n’est d’ailleurs pas certaine et, le Traité de Saint-Clair-sur-Epte ayant été scellé par une simple poignée de mains, aucune trace écrite ne permet de trancher. Il n’empêche que la posses­sion de la Bretagne sera souvent rappelée au fil des siècles, et gâchera à jamais les rapports entre Bretons et Normands.

La conquête de l’Angleterre

Ne nous méprenons pas sur la conversion de Rol­lon, devenu duc de Normandie sous le nom de Robert ler, ni sur l’adoption rapide de la langue romane par l’aristocratie viking. Il y a là plus d’op­portunisme que de conviction. Le baptême est d’abord un passeport, qui ouvre les portes de tout l’occident chrétien. Quant à la langue romane, c’est celle du clergé, qui enseigne les enfants des nouveaux maîtres vikings, qui ont également besoin d’eux pour maintenir en Normandie de solides structures sociales.

A Rollon succèdent Guillaume Longue-Epée, assassiné par les Flamands, Richard Ier Sans-Peur, Richard II, Robert le Magnifique. La cohésion du duché, parfois malmenée, résiste. Et, à l’image de ce qui se passait dans la Scandinavie originelle, les fils les moins bien lotis reprennent le chemin de la mer et de l’aventure. Ils écument la Méditerra­née, investissent la Sicile. En Normandie, les trou­bles et les assassinats sont devenus monnaie cou­rante à la fin du règne de Robert et, après sa mort, ils redoublent à l’avènement de Guillaume II, qui n’a que huit ans. Pourtant, celui qu’on surnomme alors le Bâtard parvient à maintenir les révoltes intérieures dans les limites du raisonnable et, à l’âge de vingt ans, il défait ses rivaux dans la région de Caen. Il consolide ensuite son pouvoir, grâce à l’appui de l’Eglise, et prévient les dangers extérieurs en mariant des membres de sa famille avec ceux des familles voisines les plus menaçan­tes. Toujours cet opportunisme politique nor­mand…

Edouard le Confesseur, roi d’Angleterre, meurt le 5 janvier 1066. Normand de coeur, il avait, depuis longtemps, laissé entendre à Guillaume qu’il le choisirait pour successeur, et c’est Harold, puis­sant chef du sud de l’Angleterre, qui est venu en 1064 en Normandie pour confirmer cette pro­messe royale au Bâtard. Or, le 6 janvier 1066, les seigneurs anglo-saxons choisissent Harold pour succéder à Edouard.

A cette nouvelle, Guillaume décide de revendi­quer par les armes la couronne d’Angleterre. L’aristocratie normande lui apporte aussitôt en contribution de nombreux navires, et des hom­mes sont levés dans toute la Normandie, ainsi qu’en France, en Flandre et en Bretagne. Fin poli­tique, Guillaume a pris soin de demander son sou­tien au pape, qui lui a remis un étendard pontifical.

Dès le printemps 1066, une armée de dix mille hommes et d’un millier de navires est réunie dans l’estuaire de la Dives, à proximité de Cabourg. Mais les vents sont défavorables. Il faut attendre. Ce contretemps est mis à profit pour transférer la flotte beaucoup plus au nord, près de l’embou­chure de la Somme, à une distance nettement plus courte des côtes anglaises.

C’est finalement le 28 septembre seulement que des conditions assez favorables sont réunies pour une attaque-surprise. Le lendemain déjà, les trou­pes de Guillaume débarquent sur la plage de Pevensey, puis s’engagent dans les terres, où ils ne rencontrent pas un seul soldat anglais.

En fait, Harold avait bien prévu, lors de son acces­sion au trône, une réaction de Guillaume, qu’il savait furieux. Mais, après quelques mois, sa crainte s’était évanouie et, en ce début d’automne, plusieurs jours passent avant qu’il apprenne le débarquement. Il envoie alors son armée à la rencontre des assaillants. Elle a lieu à Hastings, le 14 octobre. Les Anglais ont pris position sur une hauteur, qui permet une bonne défense mais in­terdit l’attaque. La première offensive normande est facilement repoussée, et Guillaume doit se faire reconnaître de ses soldats, qui l’ont cru mort. Toute la journée, l’issue reste indécise. Pourtant, alors qu’approche la nuit, Harold est tué par une flèche normande. La victoire est totale, les villes se soumettent les unes après les autres et, le 25 décembre, Guillaume le Bâtard, devenu Guil­laume le Conquérant, est couronné roi d’Angle­terre.

La tapisserie de la reine Mathilde

La première bande dessinée normande, réalisée aussitôt après la bataille d’Hastings, mesure 50 centimètres de large et 70 mètres de long. Appelée aussi Tapisserie de Bayeux, il s’agit en fait d’une broderie de huit laines de couleurs différen­tes, sur une trame de pièces de lin ajustées. La légende l’attribue à Mathilde, femme de Guil­laume et véritable Pénélope brodant inlassable­ment les exploits de son mari parti pour la guerre.

En réalité, il est peu vraisemblable que Mathilde ait jamais tenu l’aiguille ni brodé les laines de cette œuvre grandiose. On ne sait même pas si elle a été réalisée en Normandie ou en Angleterre. Mais ses 58 scènes sur-titrées constituent un extraordinaire document, qui permet de connaître avec précision les caractéristiques de la flotte nor­mande, l’équipement des soldats, le matériel uti­lisé. On note la présence de nombreux chevaux, qui ont dû être d’un avantage décisif lors de la bataille d’Hastings, même si la mort d’Harold est due à un archer à pied.

Figurant dans l’inventaire de la cathédrale de Bayeux au XVe siècle, la tapisserie de la reine Mathilde nous est parvenue, presque intacte, au travers d’incroyables dangers. Echappant à l’in­cendie de la cathédrale en 1562, elle est promise au rôle de toile de bâche pendant la Révolution. Napoléon Bonaparte la fait exposer à Paris en 1804, mais elle est ensuite entreposée en divers lieux peu appropriés. C’est alors qu’elle subit les plus graves dommages. Lors de la seconde guerre mondiale, elle est mise en lieu sûr au Mans puis transférée à Paris. Le 21 août 1944, lors des com­bats pour la libération de la capitale, elle aurait dû être raflée au Louvre par les SS, mais la prompti­tude de l’attaque ne leur en a pas laissé le temps.

De retour à Bayeux, elle est aujourd’hui exposée en totalité derrière une épaisse protection de verre. La visite en est émouvante et les voyageurs anglais y viennent nombreux pour retrouver un instant essentiel de leur histoire.

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