Quel étrange Vatican que celui-ci. Depuis 1999, le patron des lieux se nomme Karékine II, catholicos de l’Eglise apostolique arménienne – puisque tel est son nom. La plus ancienne Eglise chrétienne du monde. Karékine II est 133e détenteur de ce titre bien plus qu’honorifique, inauguré en l’an de grâce 298 par le plus illustre de ses prédécesseurs, Grégoire 1er l’Illuminateur.
Le pape François est venu ici en 2016 et, avant son départ de Rome, s’était bien promis de ne pas utiliser le terme de « génocide » mais comment échapper à l’évidence ? Le pied à peine posé en terre arménienne, François avait déclaré ceci : « Cette tragédie, ce génocide, a inauguré malheureusement la triste liste des effroyables catastrophes du siècle dernier, rendues possibles par d’aberrantes motivations raciales, idéologiques ou religieuses qui ont enténébré l’esprit des bourreaux, au point qu’ils se sont fixé le dessein d’anéantir des peuples entiers. Il est vraiment triste que –dans ce cas comme dans les autres – les grandes puissances aient regardé ailleurs. Je rends honneur au peuple arménien…» Le gouvernement turc avait apprécié à sa manière, on s’en doute, mais chacun des lieux visités par François est désormais chargé d’Histoire.
Passé le porche à claire-voie, on chemine d’abord entre une théorie de khatchkars, ces mystérieuses « pierres à croix » chères au cœur des Arméniens, et un parterre de roses, aussi roses que peuvent l’être les roses, et odorantes de surcroît. Comment l’agnostique que je suis peut-il ici se sentir en territoire ami ? Comme en famille ? Mystère, mais c’est un fait. A l’image de cette Arménie que je découvre à peine, Etchmiadzin est en train de devenir ma seconde maison. Si ce n’est pas un miracle, ça y ressemble bigrement.
Au fil du chemin, quelques touristes japonais et beaucoup d’Arméniens venus en famille, ainsi que de séminaristes en soutane, tapotant sur leur téléphone ou devisant affectueusement avec de jeunes et jolies fidèles. Tout paraît si simple dans cette Eglise-là.
Simple et obligatoire. On me dit que, pour devenir prêtre, il faut être marié, ce qui met heureusement les enfants de chœur à l’abri des prédateurs. Mais a contrario, pour caresser l’espoir de devenir un jour catholicos, il faut ne pas l’être et ne pas l’avoir été. Ainsi, il faudrait faire son choix dès la sortie du séminaire, prêtre marié ou catholicos célibataire.
Visage(s) de la sérénité, les bancs ombragés accueillent aux beaux jours de nombreux Arméniens – et parfois quelques Arméniennes – venus tout exprès pour deviser de la famille, des enfants, des petits-enfants et du temps qui passe. Beaux profils, qui racontent à la fois l’histoire d’une vie et celle d’un peuple.
Joyau et berceau du lieu, la « cathédrale-mère Sainte-Etchmiarzin » se cache derrière les arbres, la verdure et quelques échafaudages. Elle n’est pas grande mais c’est en quelque sorte le saint des saints, le lieu le plus sacré de l’Eglise arménienne, dont elle est aussi le plus ancien édifice. De dimensions modestes, sans cesse remaniée au fil des ans et des conflits. Son Trésor recèle la Lance de la Passion ayant transpercé le flanc du Christ, la main de Grégoire l’Illuminateur et un fragment de l’Arche de Noé !
Et pourtant sa vraie richesse est ailleurs, dans le visage des fidèles ou des prêtres venus allumer un cierge au saint fondateur, demander la grâce pour un parent décédé ou le bonheur pour un enfant à venir. En Arménie, l’Eglise fait corps avec le peuple, de toute évidence, de toute éternité et en toute simplicité.
Alex Décotte, juin 2019
- Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur