La femme du gaucho

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Le gaucho parle de la femme dans toutes ses chansons, mais on ne la voit jamais. La considère-t-il, dès lors qu’elle est devenue sa femme, comme quan­tité négligeable? A-t-il, au contraire, peur qu’on la lui prenne? A part le Nord-Ouest argentin, où la femme a gagné ses galons en combattant aux côtés de Güemes au temps de la guerre d’Indépendance, la femme vient toujours en dernière position, après le cheval, les enfants et les chiens. Elle est un peu comme le moineau que chassent tous les garnements du monde, ils feraient n’importe quoi pour l’ajuster d’une fronde mortelle, mais ne savent plus où mettre la dépouille dès qu’il l’ont en main.

Le gaucho appelle la femme china. Précédée d’un article, la china est une servante. Agrémentée d’un pronom possessif, mi china est «ma chérie». C’est tout dire.

Tengo un rancho, tengo pingo. 
tengo yerba pa’tomar,       .
solo me falta una china    
que me quiera acompafiar.       
 
J’ai une ferme et un cheval agile,
j’ai de l’herbe pour boire mon maté
Il me manque seulement une femme
qui veuille bien m’accompagner.
 

A quoi la femme répond:

 
Si es que tenes rancho y pingo, 
y yerba para tomar,  
y solo te falta china, 
yo te puedo acompanar.   
 
Si tu as une ferme et un cheval,
et de l’herbe pour boire ton maté,
et qu’il te manque seulement une femme,
moi, je peux venir avec toi.

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Faire des enfants et ne pas se salir les mains au travail des champs

Si les premiers gauchos étaient solitaires, vagabonds et célibataires, il a bien fallu, pour que le genre se perpétue, que les rares bosquets abritent de temps à autre des amours clandestines. La première femme du gaucho fut indienne, de gré ou de force. De cette union naquirent des gosses aux cheveux d’ébène, aux dents d’ivoire et aux lèvres de feu. Les filles devenaient chinitas convoitées à l’âge de 16 ans, chinas épousées et vite rébarbatives à 20 ans. Dès lors, leur rôle consistait en l’économie du ménage, l’éducation des gosses et le plaisir du dueno (maître), qui ne se faisait pas prier pour aller en quérir quelques sup­pléments au-dehors.

Il m’est arrivé, dans des almacenes de campagne, ces épiceries-bazars instal­lés aux carrefours du néant, d’acheter des bottes de cheval. Par curiosité, je demandais, à chaque fois, s’il y avait de petites pointures, des pointures de femme. La réponse était presque toujours négative, sauf dans le Nord-Ouest. A la manière des Espagnols et des Maures, la femme reste à la maison. Même du cheval elle n’est pas digne. Seuls les grands estancieros aux manières libé­rales lui confient quelques responsabilités, pour autant qu’elle soit issue du même rang. Sinon, la femme n’apparaît vraiment qu’avant d’être femme et après l’avoir été, l’enfance et la vieillesse échappant généralement aux tabous et aux interdits.

La femme de Salta

Dans le Nord-Ouest en revanche, la femme est partout présente. Sa compli­cité active au temps des guerres gauchos y est pour quelque chose. Sa méfiance aussi. Car, dans les fincas de Salta ou de Jujuy, les couples sont souvent illégi­times, la femme refusant le mariage au nom de sa liberté. Cela ne l’empêche pas de faire des demi-douzaines d’enfants, mais elle se sent maîtresse chez elle, elle qui pétrit le pain, monte les chevaux, conduit les troupeaux, gratte la guitare, chante la baguala et rosse son concubin à l’occasion. Tout cela, grâce au métissage de quechua ou d’aymara, ne lui enlève pas une once de féminité, et l’homme vante ses mérites bien après l’année de la première ren­contre.

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